Lutte contre la pollution à Fria: Un collectif de citoyens s’active

La préfecture de Fria a été agitée par une envolée de poudre d’alumine depuis le 17 novembre 2019 à fin décembre de la même année. Cette situation a occasionné  la naissance d’un mouvement dénommé « collectif des citoyens de Fria pour la lutte contre la pollution ». Pour parler de son objectif, sa vision, ses actions, ses perspectives, etc. Action Mines Guinée est allée à la rencontre de monsieur Alhassane Aissatou Sylla, acteur de la société civile et coordinateur dudit collectif. Interview.

Amines : Qu’est-ce qui a été le déclic de la mise en place de votre mouvement ?

AAS : Notre collectif est un mouvement des citoyens que nous avons mis en place après avoir remarqué la pollution de la ville de Fria ces derniers mois (novembre- décembre), par l’usine Rusal-Friguia. Il y avait une fuite de l’alumine qui se déversait partout. Nous sommes restés à observer si les autorités locales allaient prendre rapidement les choses en main. Mais nous avons constaté une expectative. Et cela nous a inquiétés. C’est ce qui nous a poussés à prendre notre bâton de pèlerin pour aller auprès des spécialistes de santé afin de savoir à quoi on était exposé. Parmi les risques, ils nous ont parlé des effets que cela pourrait causer : ils nous ont dit que c’est cancérigène, ça peut causer des problèmes respiratoires, des infections pulmonaires, etc. C’est ainsi que nous nous sommes dits qu’il est urgent de mettre en place ce collectif dans lequel les jeunes de Fria et d’autres citoyens se sont réunis pour dénoncer et mettre la pression à tous les niveaux pour que les responsables de l’usine essaient de résoudre ce problème de fuite et de pollution.

Après la mise en page du collectif, quelles sont les premières actions entreprises ? 

Rapidement, nous nous sommes organisés en mettant les différentes commissions en place et scinder les tâches. La première tâche était d’aller rencontrer toutes les autorités et les services techniques. Nous avons été chez monsieur le maire pour lui demander ce qu’ils ont fait jusqu’à maintenant. Nous lui avons également fait des propositions pour lui dire que ce n’est plus le temps des discours, mais il est temps d’agir. A défaut de rectifier la pièce endommagée, qu’ils arrêtent les activités. On a été aussi au niveau des services techniques, notamment celui de l’environnement,  qui nous a expliqué les démarches effectuées par son service en nous montrant quelques rapports et des rencontres tenues avec des cadres de l’usine. Nous lui avons fait aussi des propositions.

À la préfecture, nous avons été portés nos inquiétudes face la situation qui empirait. Pour mieux agir et avoir plus d’impacts sur le terrain, nous avons organisé des séances de sensibilisation, où nous avons été dans le marché central de Fria. Nous avons sensibilisé toutes les couches sociales à ce niveau par rapport à certains aliments qui ne peuvent pas être lavés: pain, farine, huile,  patte d’arachide,  etc. A défaut que l’usine ne trouve solution, ils peuvent couvrir les aliments. Nous avons aussi réalisé beaucoup de communication. Il y a une action en cours que je taie pour l’instant, afin qu’il n’y ait pas empiétement durant le processus. Bref, ce sont entre autres activités que nous avons réalisées ces derniers moments. Certains disent que nous sommes calmes et que nous n’avons rien à dire. Nous restons solides et nous continuons notre combat sûrement. Avec la société Rusal Friguia, nous constatons aujourd’hui que l’Etat fait main basse.

Sur le plan sanitaire, avez-vous rencontré des personnes victimes des maladies dont vous avez cité ci-haut ? 

Nous avons rencontré un certain nombre des victimes que nous avons répertoriées parce que beaucoup se plaignaient des toues, de rhume, de grippe. Ceux qui sont asthmatiques en ont beaucoup souffert. Certains, pour des problèmes cardiaques ont été obligés de quitter la ville. Aujourd’hui c’est mieux. Mais quelques semaines en arrière, on respirait que de la poussière de l’alumine. Les preuves sont encore visibles sur les feuilles, les bâtiments, les véhicules, et partout sur le paysage environnant la ville.

Les quartiers proches de l’usine ont été les plus exposés à cette pollution. Personne n’était en marge de cette situation. Parce qu’en inhalant ça, vous avez l’irritation dans la gorge, dans les yeux, sur la peau. Nous avons essayé d’approcher les spécialistes de la santé de Fria pour qu’ils témoignent.  Mais malheureusement, personne n’a voulu se prêter aux questions. Ils ont dit qu’il faut que madame le Préfet donne l’autorisation. Une chose qui nous a beaucoup déçues. Nous avons attiré l’attention du directeur préfectoral de la santé pour lui dire qu’il est temps de tirer sonnette d’alarme afin d’interpeller la communauté nationale et internationale. Ce, pour dire que notre vie est menacée. Parce qu’à moyen et long terme, nous sommes exposés à un effet cancérigène.

Qui sait ce qui peut se passer entre les 5 et 10 prochaines années ? Selon vous, pourquoi les autorités préfectorales ne veulent pas se prononcer sur la question de la pollution ? 

Moi, en tant que citoyen, je dirais qu’ils sont complaisants, complices. Puisque, hormis cette pollution, ce que les travailleurs vivent c’est extraordinaire. Ceux qui avaient des contrats de travail, leur contrat est classé depuis que l’usine a repris. Ils ont envoyé une entreprise qui sous-traite (Centa) avec l’usine pour embaucher les travailleurs. Les travailleurs ont un contrat mensuel, une autorisation d’accès mensuelle. Ils n’ont plus de bulletin de salaire et il y a pollution. Il n’y a pas de syndicat. Les russes font ce qu’ils veulent comme bon leur semble. Tout ça me fait dire que l’Etat est complice avec les russes parce qu’il n’agit. Et on ne sait pas sur quelle base ils se sont entendus pour relancer cette usine.

Mais aujourd’hui les populations de Fria tirent le diable par la queue. Il y a un laisser-aller total. Les russes font ce qu’ils veulent et personne n’est en face pour les inquiéter.

Comme nous, ils ne peuvent pas nous renvoyer ou nous faire de la pression sur le travail, nous dénonçons cette attitude de l’État guinéen et des russes. Car cette façon de traiter les travailleurs guinéens n’est pas digne. C’est inacceptable qu’une société minière se comporte de la sorte. Surtout que cette usine n’a pas un impact aussi positif sur les communautés de Fria. Si on compare Friguia à Pechiney ou les américains, ce n’est pas la même chose. Avec les deux derniers, tout était pris en compte, le volet local, les cités, etc. Mais aujourd’hui Fria vit par rapport à son nom d’antan. C’est pourquoi les Friakas aiment se vanter de leur passé. Et qui aime vanter son passé a un présent médiocre.

Quelles mesures sanitaires sont envisagées aujourd’hui par l’inhalation de la poussière de l’alumine ? 

Pour le moment, à notre connaissance, aucune mesure n’est envisagée pour la prévention, ni de la part de l’Etat, ni même de l’usine. C’est pourquoi nous sommes en train d’envisager une série d’activités qui va dans le cadre de la sensibilisation mais aussi dans le cadre de soutien financier. Ce que nous sommes en train de faire, les autorités auraient dû le faire ou même l’usine. Nous avons écrit deux fois à l’usine afin de les mettre devant leur responsabilité, mais aussi leur proposer quelques activités en termes de compensation pour les citoyens de Fria. Mais aucune mesure n’a été entreprise dans ce sens.

Quels sont les risques dans l’avenir ? 

Comme je le disais tantôt, ceux qui ont des animaux ont eu tous les problèmes du monde. Parce que les animaux refusaient de brouter l’herbe sur lequel l’alumine est tombée. Ils étaient obligés d’aller plus loin pour trouver de l’herbe non touché par l’alumine afin de donner aux animaux. Les riverains qui n’avaient accès au robinet et au forage avaient énormément des problèmes aussi. Parce que Fria est entourée de 3 sous-préfectures et de quatre districts qui relèvent de la commune. Avec l’air, ceux-ci consommeront cette eau souillée. Ce sont quelques conséquences auxquelles il faut s’attendre à cause de l’activité de Rusal Friguia à Fria.

Quelles solutions pérennes envisagez- vous ? 

D’abord, il faut que l’État prenne ses responsabilités en main. Quel que soit le bénéfice financier qu’on peut avoir avec une société minière, mais la santé n’a pas de prix. Ceux qui seront malades de cancer ou autre, ce n’est pas l’affaire de pauvre. Même les riches ont du mal à y faire face, à plus fort malheureusement les pauvres. Donc l’État doit interpeller cette société pour faire des investissements dignes de nom.

Ça fait longtemps que Rusal est là. On dit que les équipements sont vétustes. Mais s’il faut travailler, il faut mettre la main dans la poche pour essayer de rénover et changer ce qui est vétuste. Mais, ils ne font que du colmatage. On ne peut pas faire du nouveau avec du vieux. C’est un des fours qui a lâché. Ça ne date pas de maintenant. Avant 2012, ils ont eu des problèmes comme ça. Mais ils ont refusé de changer cet électrofiltre qui permet de retenir les poussières.  Ils ont continué à faire du colmatage.

Ils nous font croire que les usines qui fabriquent les équipements n’existent plus, ainsi de suite. Mais tout ça, ce sont des paroles, de fuite en avant. Ils ne font rien de concret pour régler définitivement le problème. Il faut que l’État fasse la pression sur les russes pour régler ce problème. Parce que l’exploitation continue et ils exportent tous les jours de l’alumine. Il faut qu’ils aient le courage d’investir parce qu’ils sont exemptés de beaucoup de taxes comparativement à d’autres sociétés minières. Si tout ça est facilité, il faut qu’ils aient le courage de préserver leur installation pour sauvegarder la santé des citoyens de Fria. Il faudrait aussi qu’il y’ait des mesures compensatoires vis-à-vis des citoyens de Fria.

Interview réalisée par Aliou BM Diallo

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