Sangarédi : Le FODEL, un instrument de création d’emplois pour les jeunes et les femmes ?

La mise en œuvre du Fonds de développement économique local (FODEL) dans les communes minières de la Guinée est un défi pour la commune rurale de Sangaredi. Mais pas que. Etant une localité impactée par plusieurs sociétés minières exploitant la bauxite, Sangarédi, jadis ville « Lumière », fait face à de nombreux problèmes : coupure d’électricité, d’eau, pollution de l’environnement, etc. Pour parler des enjeux et défis de cette situation, Action Mines Guinée est allée à la rencontre du maire de la commune rurale de Sangarédi, Mamadou Houdy BAH. Interview !

Quel est l’état des lieux de la mise en œuvre du FODEL à Sangarédi ?

Comme vous l’avez appris, le chèque du Fonds de développement économique local (FODEL) a été mis à notre disposition. Chez nous à Sangarédi, on a bénéficié de 3 100 227 097 GNF (trois milliards cent million deux cent vingt-sept mille quatre-vingt-dix-sept). Cette somme qui est prévue pour la commune rurale de Sangarédi représente 0,5 % que deux sociétés minières principalement COBAD et Henan Chine qui produit la bauxite vers le Sud-Est de Sangarédi, plus la société minière de Boké (SMB) qui exploite dans la commune de Tanènè. Ceci, parce que nous sommes voisins, donc nous bénéficions d’un certain pourcentage.

Il y a un comité d’appui à la gestion (CAGF) du FODEL qui a été mis en place. Il ne gère pas les fonds Fodel mais appuie à sa gestion. Dans ce comité, il y a le secrétariat permanant qui renferme le comptable, et l’ingénieur qui est spécialisé dans le montage des micros projets, dans les vérifications de la véracité de ces micros projets que les habitants des communes vont remonter pour être financés.

A Sangarédi, nous avons monté 33 micros projets dont 18 pour les femmes et 15 pour les jeunes. Cela représente les 40% du fonds FODEL. Et chaque groupe a bénéficié de 20%. Le tout fait un total avoisinant un milliard deux cent millions (1 200 000 000). Nous avons reçu ce chèque de ces deux entités. Il nous reste le fonds qui est destiné au développement économique local des projets sociaux communautaires.  Le premier bénéficie de 30% du fonds, et le second (projets sociaux) bénéficie de 21% du fonds.

Notre ingénieur conseil a fini de concevoir le DAO (Dossier d’Appel d’Offres) pour le fonds économique et de développement de la commune. Il est sur les 21%. Dans 10 jours, nous allons lancer les appels d’offres pour essayer de  faire face à cet autre compartiment. Nous sommes en train de voir comment livrer les un milliard cent et quelques millions aux jeunes et aux femmes et comment garantir le reversement de ces fonds. Parce que c’est un fonds revolving. Donc, c’est un prêt sans intérêt.

Puisque nous n’avons pas l’expertise nécessaire pour faire des prêts et récupérer ces prêts, nous sommes en train de négocier avec des institutions de micro finances en place, afin que ceux-ci nous livrent leurs stratégies moyennant un contrat qui va nous lier. Nous nous chargeons de payer les honoraires de ces institutions de  micro finances.  Avec le fonds FODEL, nous sommes à ce niveau.

Les porteurs de projets sont tous les jours à nos portes. Et ils ont raison parce qu’il y a certains qui ont envisagé des activités maraichères. Avec ces activités, il y a un emploi du temps naturel auquel il faut forcément se soumettre. C’est ce qui fait que nous sommes en train de calculer 24h/24h afin que les bénéficiaires soient exactement en procession des fonds qui leurs sont alloués.

Comment ces bénéficiaires ont-ils été identifiés ?

Nous avons privilégié les groupements et les associations qui existaient déjà, qui ont tous les documents juridiques à jour (règlement intérieur, statuts, et agrément). Nous n’avons pas financé les personnes individuelles. Nous avons privilégié les groupements car tous les membres du groupement vont se mettre en œuvre et ensuite ils vont appeler d’autres pour la réalisation de leurs activités, d’où la création d’emploi.

Vous avez parlé de manque d’expertise en la matière. Est-ce que c’est seulement là où vous avez des défis ?

C’est l’un des grands défis. Parce ce que quand on prête à 0%, on récupère pour prêter à d’autres. Et nous n’avons pas d’expertise là-dessus. C’est pourquoi nous avons fait recours à ces institutions de micro finance. Le second défi, c’est l’objectif même de ce fonds FODEL.

Par ce fonds FODEL, est-ce que réellement ils vont créer de l’emploi aux jeunes ou (et) aux femmes au point qu’ils se désintéressent des emplois au niveau des sociétés minières ? Les sociétés minières ont leurs exigences. Mais nous savons que les communautés impactées ont des besoins. Et quand on compare ces attentes et les obligations, il y a toujours un très grand fossé. Donc, nous pensons que la mise en œuvre de ce fonds FODEL va essayer quand même d’absorber cette différence-là, même si ce n’est pas entièrement. Mais une partie des demandeurs d’emploi des sociétés minières vont trouver leur compte dans le FODEL.

Quelles sont vos perspectives?

Nos perspectives c’est vraiment accompagner ces groupements de jeunes, de femmes et essayer de renforcer leur formation en entreprenariat pour qu’à partir de ces fonds FODEL qu’on ait des multimillionnaires. Que nous ayons des entrepreneurs, des gestionnaires, des ouvrages ou des sociétés qui vont répondre aux besoins du contenu local. Parce que si ces groupements et associations produisent ce que les travailleurs des sociétés minières ont besoin, et forcement l’argent que ces travailleurs vont recevoir, passeront obligatoirement dans les mains de nos communautés, de nos entrepreneurs, de nos femmes et nos jeunes qui ont été financés à travers ces fonds FODEL.

Quelle comparaison faites-vous entre l’ancienne gestion de la contribution au développement local et le FODEL ?

Faire la comparaison actuellement c’est un peu tôt. Parce que nous avons des redevances minières qui sont reversées dans les communes et qui ont toujours été de deux sortes. C’est des contributions en matière de taxes superficiaires qui sont directement utilisées par les communes pour des ouvrages. Ça, ce sont des gestions de communes qui sont mises en branle. Et le deuxième fonds, c’est l’ANAFIC qui vient directement remplacer les fonds du PACV 3.  Ces fonds sont directement orientés dans la réalisation des édifices. Donc là aussi, la gestion ne fait pas de problème, parce qu’elle est directe. Avec le compte FODEL, c’est un peu différent. Car la gestion sera effectuée par la commune. Et nous, nous venons de commencer.

Où en est-on avec les projets de l’ANAFIC qui ont été annoncés et d’autres exécutés ?

Ces projets sont de deux sortes : il y a eu trois paiements. D’abord, il y a eu des avances de démarrage de 25%, et un deuxième versement de 25%. Actuellement, on est en train de payer les 15%. Pratiquement, certains entrepreneurs qui ont les fonds propres ont entièrement achevé les édifices. Tandis que d’autres entreprises qui sont plus ou moins lentes, sont vers la fin et suivent exactement le degré de décaissement de la mise à disposition du fonds de l’ANAFIC. Parce que tous les fonds ne sont pas venus au même moment et à chaque étape l’ANAFIC débourse cet argent qu’on met à la disposition des entrepreneurs.

Quelles natures d’infrastructures sont financées par l’ANAFIC, et combien ?

Elles sont au nombre de quatre. Il y a la construction d’un collège de proximité à Boulléré, la construction d’une école de 6 classes dans la préfecture de Thiankounayi et le logement des enseignants, la construction d’un poste de santé plus le logement du chef de poste dans le district de Wossou, et la construction d’un hangar à la gare routière dans le district de Lavage.  Ce sont ces quatre micros projets que l’ANAFIC a réalisés, et les trois premiers sont déjà achevés. Mais le collège de proximité n’est pas encore achevé.

Avec le nombre massif des sociétés minières dans la zone, quelles sont vos craintes dans les trois ou cinq ans avenir, surtout l’aspect environnemental et social ?

Ce sont des préoccupations qui demeurent. Nous savons que l’exploitation minière comporte des effets cumulatifs chez nous. Parce que nous avons quatre projets qui sont en train d’évoluer. Nous avons la CBG qui est là il y a très longtemps, il y a maintenant GAC, ensuite la COBAD venue tout récemment, mais qui a accéléré les activités et a commencé à exploiter. Henan Chine aussi est là. Donc nous nous sommes soumis à des actions cumulatives sur, non seulement, l’écosystème mais aussi les hommes (le social).

Donc si vous voyez qu’à Sangarédi il y’avait le courant 24h/24h, ce n’est plus le cas. Je dirais qu’il y a une bonne partie de migration de ces sociétés qui ont investi et toutes cherchent l’eau et le courant d’abord. Le fait que la ville a grandi, il y a eu beaucoup de constructions. Et dans chaque construction, la première demande c’est l’eau et le courant. Parce qu’il faut répondre aux attentes des travailleurs venant. Donc la disponibilité n’ayant pas augmenté, la demande quant à elle a augmenté. C’est ce qui fait qu’actuellement on est confronté à des pénuries d’eau et de courant. La desserte en électricité se fait maintenant d’une manière très interrompue. Ce sont des effets de l’exploitation minière sur le social que nous sommes en train de vivre.

Sans compter le grand coup que l’environnement est en train de subir, non seulement par l’action de l’extraction de la bauxite elle-même, et les effets collatéraux. Parce que qui dit société minière, dit des hommes. Il y a une vague de personnes qui viennent à la recherche du travail. Et s’ils ne trouvent pas de travail, ils se rabattent à la production du charbon qui entraine la destruction de l’environnement, la production de briques cuite, et à la culture sur brulis. Cela s’ajoute aux pratiques jadis adoptées par nos communautés autochtones. Et tout cela participe à la destruction de l’environnement.

Vous êtes là depuis des dizaines  d’années, quelle comparaison faites-vous par rapport à ce climat-là ?

La comparaison est très simple. Lorsque j’étais élève et maintenant, c’est radicalement différent. Parce qu’il ne faisait pas aussi chaud que maintenant. Il y avait assez d’arbres et d’animaux sauvages. Mais tout ça a disparu.  Il existait des grandes forêts, des fleuves, des marigots, des lacs. Actuellement, les fleuves ont tari, les marigots sont presque inexistants, les marres ont toutes disparu.  Il y a une nette différence entre les temps passés et maintenant. Et c’est un autre défi pour la commune  et voir comment est-ce que l’environnement peut survivre pour les générations futures.

Nous allons faire appel aux institutions internationales spécialisées dans la protection de l’environnement et aux structures de l’Etat. Nous faisons appel à toutes celles-ci pour nous aider à contenir les effets néfastes de l’exploitation minière et de ce surpeuplement dans la sous-préfecture de Sangarédi en particulier et dans la préfecture de Boké en général.

Réalisé par Aliou BM et Oury Bah

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