Rusal-Friguia : Les difficiles conditions de vie des habitants de Fria

Les citoyens de la ville de Fria autrefois appelé ‘’Petit Paris’’ vivent aujourd’hui dans des conditions très difficiles. Pour cause, de milliers d’anciens travailleurs ne sont pas repris et ceux qui le sont disent être très mal payés sans oublier les autres citoyens dont la hausse ou la baisse du niveau de leur vie dépend directement ou indirectement du fonctionnement de l’usine et de la qualité de traitement de ses employés. AMINES braque son projecteur sur la vie du friakas d’aujourd’hui.  

Construite en 1960 par l’industriel français Péchiney, puis racheté par le groupe russe Rusal en 2006 pour 21 millions de dollars, l’usine de Friguia a été mise à l’arrêt de 2012 à 2016, suite à une grève générale qui a bloqué sa production. Des blocages qui avaient d’ailleurs été jugés illégaux en avril 2012 par le tribunal du travail de Mafanco, à Conakry.

C’est en avril 2016 que les deux parties (Russe et Guinéenne) se sont finalement mises d’accord, suite à une visite du président guinéen à Moscou. Et Rusal a ainsi obtenu la ratification en 2016 par le Parlement de l’annexe 12 de la convention de concession de Dian-Dian, un très riche gisement de bauxite situé dans la région nord-ouest de Boké qui prévoyait une exploitation allant jusqu’à 12 millions de tonnes à l’horizon 2021. Pendant la crise, nombreux étaient les travailleurs et non travailleurs de Friguia qui ont fuit la ville ‘’sinistrée de Fria’’ après la fermeture de l’usine en 2012. Ils étaient partis chercher ailleurs de quoi nourrir leurs familles. Depuis, la ville de Fria qui s’est construite d’ailleurs autour de l’usine s’était vidée petit à petit, certains travailleurs rejoignant les autres villes minières du pays ou Conakry à la recherche du bonheur. D’autres se seraient même reconvertis dans l’agriculture ou le petit commerce. Il y a eu des cas de morts par suicide, de dislocation de familles et plusieurs citoyens ont été économiquement ruinés à cause de cet arrêt.

Tous les anciens travailleurs, qu’ils soient repris ou non perçoivent une assistance d’un million cinquante mille francs guinéens (1 050 000) par mois aujourd’hui. Et si l’intéressé n’a pas d’aide extérieure pour subvenir aux besoins de sa famille, il est appelé à souffrir. Les anciens travailleurs et leurs familles seraient abandonnés à eux-mêmes. C’est ce qui d’ailleurs pousserait certains jeunes de Fria à une vie de débauche aujourd’hui.

La vie actuelle des friakas  

La plupart des habitants de Fria vivent aujourd’hui dans une pauvreté. C’est du moins ce que constate notre reporter sur le terrain.

Près de 300 travailleurs qui ont atteint l’âge de la retraite ne le sont pas et leurs conditions de vie sont aujourd’hui très précaires. Ils ne reçoivent qu’un minime traitement et ils ne sont pas à la retraite. Ils auraient menés plusieurs démarches auprès des autorités de Conakry et des responsables de Rusal-Friguia pour régulariser cette situation, en vain. Ils sont actuellement à la merci de la galère.

Pour ceux qui ont la chance d’être repris, ils disent être en esclavage. « Nos conditions de travail et de vie sont misérables. On n’a pas un salaire, on nous donne plutôt des miettes pour survivre. Imaginez que vous travaillez pour la première usine d’alumine en terre Africaine, et à un moment donné Rusal était même No1 ensuite No2 mondial de l’alumine. Alors que vous n’avez même pas un contrat de travail. Nous faisons le tâcheronnat actuellement. Depuis février 2017, nous n’avons qu’un contrat d’audit technique mensuel, alors que l’usine est en train de produire l’alumine et revendre », explique Monsieur K qui souhaite garder l’anonymat.

Les travailleurs et leurs familles n’auraient plus droit à une prise en charge médicale. « On peut te consulter, te faire certains examens, mais les médicaments c’est toi-même qui te les achètes. Pendant qu’on a un salaire de misère », enchaine l’homme.

Récemment dit-il, un travailleur a perdu sa jambe dans un accident de travail à la mine, mais il n’a obtenu aucune prise en charge, au-delà des petits soins à l’hôpital Pechiney. Selon lui, ce sont les parents de la victime qui l’ont prise en charge. « Il y a des gens aussi qui meurent des suites de maladies professionnelles comme ceux qui travaillent dans les chaudières à haute température. Mais rien n’est fait. Nous sommes plus de 1 000 travailleurs dans l’ensemble, mais n’avons pas droit à un syndicat actuellement et c’est pitoyable pour nous qui vivons dans un pays ‘’démocratique’’ et au 21ème siècle », raconte MK.

Un autre travailleur de Friguia est chef de car, l’équivalent d’un superviseur. Mais les travailleurs qu’il commande sont mieux payés que lui. Parce qu’il dispose d’un taux horaire de 11 522 FG l’heure contre ses subordonnés qui ont un taux de 13 000 FG l’heure. Il arrive des mois où il ne parvient pas à avoir deux millions (2 millions), pendant qu’avec l’ancien traitement salarial, il était autour de 5 à 6 millions GNF. Cependant qu’il fournit beaucoup plus d’efforts aujourd’hui qu’avant, parce que pour lui, les conditions de travail se sont dégradées.

« Nous n’avons pas droit à nous réunir en syndicat actuellement. On a droit à une seule tenue et une seule paire de chaussure par an. Et quand quelqu’un fait un accident, il n’est pas pris en charge. Pour les congés, tu pars d’abord et c’est le jour où tout le monde va être payé que tu auras ton argent. Et on nous paye sans bulletin de paie », se lamente CS.

Et avec la société de sous-traitance Senta, qui gère les travailleurs de Friguia, tous les travailleurs de même qualification ne perçoivent pas les mêmes salaires. « On peut avoir les mêmes grades, mais si on m’a rappelé avant toi, je serais à un taux horaire de 13 000 GNF et tu seras à un taux inférieur. Donc, tu seras moins payé que moi, même si on fait le même travail. Et ceux qui ont été rappelé en même temps que moi, ont le même taux que moi, même s’ils ont un grade inférieur », explique CS.

Et pourtant selon nos interlocuteurs, les russes qui travaillent à Friguia perçoivent chaque vendredi 500 dollars américain. Et ce n’est pas leur salaire, mais une prime qu’ils donnent aux russes pour les week-ends.

Il n’y a pas que les anciens ou actuels travailleurs qui souffrent dans la localité de Fria. Cette ville qui a été bâtie autour de l’usine fonctionne à la vitesse de cette dernière.

Mamadou Bailo Barry, commerçant au marché de Fria laisse entendre que les habitants vivent dans des conditions très difficiles. Pour faire une comparaison, il explique, « Avant la fermeture de l’usine, on passait toute la journée à revendre nos articles. Nous faisions de gros bénéfices et le niveau de vie était très bon. Contrairement à aujourd’hui où nous ne faisons que dormir dans les boutiques et magasins par manque de clients ».

Même son de cloche pour ce polygame qui dispose d’une boutique à la rentrée du marché. « Avant, on donnait beaucoup du crédit aux travailleurs et ils nous remboursaient à la fin du mois. Notre business marchait et notre niveau de vie était vraiment acceptable. Mais aujourd’hui les travailleurs eux-mêmes souffrent d’abord. Ils travaillent pour un salaire de misère qui ne couvre même pas leurs besoins primaires. Chose qui ne les permettent pas de rembourser entièrement les dettes et cela perturbe notre commerce », explique Mody Sory Bah qui est à Fria depuis plus de 25 ans.

Poursuivant son intervention, il affirme que ce sont ses femmes qui supportent le poids de sa famille actuellement. Elles se débrouillent dans le petit commerce et le maraichage pour lui donner un coup de pouces. Sinon précise-t-il, « je serais retourné au village pour ne pas mourir de faim avec ma famille ».

Senta, la source du malheur des travailleurs ?

Senta est l’entreprise sous-traitante de Rusal Friguia, qui recrute et gère les travailleurs de la société de production d’alumine. Nombreux sont les travailleurs qui pointent un doigt accusateur sur cette entreprise. Ils estiment que les travailleurs actuels perçoivent des salaires conformément à l’ancienne grille salariale de Rusal- Friguia, avant la fermeture de l’usine en 2012. Pour eux, c’est Senta qui perçoit ces salaires et paye les travailleurs selon des taux horaires dans l’optique de diminuer les montants et de se faire une marge. « Senta suce notre sueur et notre sang », évoquent certains travailleurs qui ajoutent que l’entreprise a des ramifications jusqu’au sommet de l’Etat, notamment à la primature.

« A Friguia, tous les guinéens travaillent sous la tutelle de Senta et les russes travaillent au compte de Friguia. Mais même Senta utilise les cachets Friguia avant de signer au compte de Senta pour les documents de sécurité et de contrat. C’est vraiment grave ce qui se passe ici », fustige un autre travailleur sous anonymat.

Ces travailleurs dénoncent l’attitude de Friguia qui les jette dans la gueule du loup, Senta. Les anciens travailleurs avaient des contrats à durée indéterminée (CDI) avec Friguia. Ils estiment très anormal d’être remis sous la tutelle de Senta, une sous-traitante pour qui, ils effectuent le même travail dans des conditions plus pénibles aujourd’hui pour peu de revenu.

La belle vie comme ancien souvenir du friakas !

Avant la fermeture de l’usine en 2012, les travailleurs disent avoir un bon salaire et de bonnes conditions de travail. « Et pourtant avant on avait droit aux soins médicaux avec nos familles, on avait un syndicat. Les congés étaient très ordonnés. Avant le jour du départ, tu prends ton salaire du dernier mois plus les jours de congés. Et tout le monde vivait bien », raconte un ancien travailleur.

Pour lui, la vie des habitants de Fria d’aujourd’hui n’est pas comparable à celle d’hier. « Notre vie n’a fait que dégringoler et nous sommes misérables », se lamente un vieux rencontré dans la cité.

Quoiqu’on dise, le petit Paris d’hier ressemble aujourd’hui à une ville fantôme. Les immeubles des travailleurs délabrés, la piscine en disparition et plusieurs autres références qui poussaient des gens à rêver visité Fria sont aujourd’hui dans un état piteux. La majorité des habitants vivent dans des conditions précaires et la situation ne fait que s’aggraver.

Mamadou Oury Bah

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