En 2020, la préfecture de Dinguiraye a bénéficié plus de 12 milliards GNF comme fonds de développement économique local (FODEL). Cet appui financier est destiné à l’accompagnement des communes minières du pays pour la réalisation d’ouvrages sociaux et économiques ainsi qu’au soutien des groupements de jeunes et des femmes des collectivités impactées.
De façon spécifique, ce fonds est destiné au financement de projets relevant des domaines d’intervention comme le développement des infrastructures et des équipements de base, le développement des services sociaux de base et l’amélioration du cadre de vie, la promotion de l’emploi local, le développement de l’économie locale, la réalisation des projets d’intercommunalité et le développement du capital humain.
Pour comprendre les tenants et les aboutissants, et l’état de la mise en œuvre du FODEL à Dinguiraye, Action Mines Guinée s’est entretenue avec le Président du comité d’appui à la gestion du Fodel (CAGF), Sékou Oumar Diakité.
AMINES : Quel est l’état de la mise en œuvre du FODEL à Dinguiraye ?
Sékou Oumar Diakité : Le CAGF de Dinguiraye a été installé depuis le mois d’août 2020. Vu sa constitution, je dirai qu’il [CAGF] a été composé de façon légale et légitime. Toutes les couches sont représentées au sein du CAGF conformément à l’esprit de la règlementation sur le FODEL.
De l’installation jusqu’à tout récemment, on avait des difficultés. Parce que l’argent du Fodel n’était pas disponible. Avant la mise à disposition du Fodel, le consultant, le CAGF et les maires se sont entretenus pour que les élus des différentes communes rurales (CR) fassent leur proposition de projets. Nous avons remonté ces propositions de projets pour rendre faisable la session budgétaire, le 9 décembre dernier. C’est ce que nous avons eu à gérer pendant les trois mois après l’installation du CAGF et avant la mise à disposition du FODEL.
Il y a eu beaucoup de questionnement autour du FODEL. Certains jeunes se sont agités et cela a créé un tollé dans la cité. Il y a eu des accusations de détournement. Mais je rassure tout un chacun que l’argent du FODEL est disponible et le montant de 12 milliards 237 millions 362 mille 844 francs guinéens est effectivement dans le compte FODEL du guichet de la BCRG de Faranah. Je suis parti personnellement à Faranah pour vérifier. Et le montant total est dans le compte Fodel. J’ai eu le relevé bancaire (photo, ndlr).
Comment expliquez-vous la situation selon laquelle, l’argent du Fodel a été utilisé pour acheter plus de 100 motos et la mise en valeur d’un espace rizicole d’une centaine d’hectares alors que les 12 milliards sont dans le compte Fodel ?
Ce sont les paradoxes que nous-mêmes nous sommes posés. Parce qu’en réalité, avant que je ne commence à donner les ordres de virement pour les communes rurales (CR), l’argent en totalité était dans le compte principal. C’est ce que je peux dire. Maintenant je ne rentre pas dans les détails. J’ai vu les motos. Et le domaine de Bambadala, je les ai vus comme ça. C’est très difficile parce que c’est un départ. Et le contenu du manuel des procédures n’a pas été respecté. On essaye de gérer les choses.
Quand j’ai vu les motos, j’ai demandé ce que c’est. On m’a dit que c’est juste le lancement pour des activités phares avec le domaine agricole. Comme le Fodel n’était pas disponible alors que la nature n’attend pas, il fallait qu’on fasse une action pour pouvoir gagner quelque chose dans l’agriculture. Donc, le comité conjoint a décidé de faire cela afin que le lancement soit fait à temps. « Quand le Fodel sera disponible, vous allez rembourser cela », m’avait-on dit.
Pourtant, il est dit dans le manuel de procédures que toute action financée par le Fodel doit ressortir du PDL et PAI de la collectivité concernée. Est-ce l’achat des motos et l’aménagement de Bambadala ressortaient des PDL et PAI des collectivités ?
Quand nous leur avons exposé la situation, il revient aux maires de prendre leurs responsabilités parce qu’ils ont leurs Plans de Développement Local (PDL) et Plan Annuel d’Investissement (PAI). Personnellement je n’ai pas imposé à quiconque de prendre les motos. Quand le lancement a été fait, les maires se sont concertés entre eux, et tous les maires ont récupéré les motos. La réalité est qu’aucune moto n’est garée à la commune urbaine et au CAGF.
Récemment, lorsque le comité conjoint est venu à Dinguiraye, je leur ai expliqué la situation, parce que les maires ne leur ont pas exposé le problème. J’ai dit aux maires d’écrire un mémo et me l’envoyer. Ayant l’écrit, et arrivé dans la salle lors de la session budgétaire, je m’attendais que les maires exposent la situation, mais aucun n’a fait cas des motos. Devant le comité conjoint, j’ai exposé la situation. Car les maires disent que les motos leur ont été imposées. Le comité conjoint a demandé si les motos se trouvent à la commune. La réponse était non. Et ils ont résumé en disant que désormais, ‘’personne n’impose quoique ce soit à personne. Si les maires estiment que les motos leur ont été imposées, qu’ils les retournent à la commune et que le CAGF fasse un mémo et l’envoie au comité conjoint’’. Mais jusqu’aujourd’hui aucun maire n’a renvoyé une moto.
Bref, pour la situation des motos, je vous affirme que la norme n’a pas été respectée. Mais il m’est difficile de m’opposer en ce sens que les maires les ont récupérés.
Qui a acheté les motos au nom du CAGF et comment allez-vous les rembourser ?
Ce sont les autorités préfectorales qui ont géré la situation avant l’installation du CAGF. Mais j’avoue que c’est une situation très complexe pour moi. Parce que le CAGF relève du comité conjoint. Ils ont dit qu’ils vont prendre l’argent quelque part et l’envoyé dans un autre compte pour les dépenses effectuées. Après nous allons les rembourser. C’est ce qui s’est passé dans la situation des motos et la plaine de Bambadala qui n’a rien donné.
Pour le remboursement des motos, c’est un travail technique qui doit être fait avec l’ensemble des maires. Parce que je ne peux pas prendre une décision unilatérale. Je dois me concerter avec les membres du CAGF, prendre l’avis des autorités préfectorales, du comité conjoint, et après on prend une décision claire dans l’intérêt général.
Nous avons une chose difficile à gérer ici concernant l’affaire des motos et de Bambadala. Il est difficile de dire qu’on ne va pas rembourser, parce que c’est de l’argent qui a été utilisé. Mais si tu dis que tu vas rembourser, qu’est-ce que tu vas rembourser et comment tu vas le faire ? C’est une situation très délicate pour nous au CAGF aujourd’hui. Mais, nous voulons éviter ces genres de problèmes dans les prochaines étapes.
Quelles sont les mesures prises par rapport à la plaine de Bambadala ?
Personnellement, c’est une équation que je n’ai pas encore finie de résoudre dans ma tête. Ce qui reste clair, cela doit être discuté avec toutes les parties prenantes. Parfois, on ne prend pas une décision unilatérale face à certaines réalités. Le manuel des procédures est là. Il y a eu vice de forme de manière indiscutable. Nous allons certainement nous retrouver, écouter les différents avis pour prendre une décision allant dans l’intérêt général. Pour le moment, il est difficile de prendre une décision tranchée. Mais avant, je dois discuter avec les autorités préfectorales qui ont géré la situation. Parce qu’il semble que le montant est imputé de l’intercommunalité. […] tout ce que j’attendais, c’est la mise à disposition du fodel pour faire ce qui est à faire selon le manuel des procédures.
Est-ce que la clé de répartition est respectée selon le manuel de procédures du FODEL ?
Vous savez, nous relevons du comité conjoint (CJ), d’une certaine manière. Donc, même si nous faisons notre partage personnel, ça doit être authentifié par le comité conjoint. Même si je fais mes partages, le CJ m’envoie un tableau authentifié pour voir la conformité avec ses propositions. Si je trouve qu’il y a inconformité, je demande au CJ de corriger. Aujourd’hui, le CJ a fait un tableau, et c’est sur la base de ce tableau que tous les maires de collectivités ont leur sous-compte et on a fait les ordres de virement dans ces sous-comptes.
Aujourd’hui quel est le nombre de projets reçus au CAGF ?
Tous les maires des collectivités et celui de la commune urbaine ont fait leur proposition de projets sur la base de la répartition qui leur a été remis par le CJ. Les propositions ont été soumises lors de la session budgétaire et tous les projets ont été validés. On a signé les conventions. Mais je ne peux pas vous donner juste le nombre des projets, mais tous les projets jeunes et femmes soumis par les CR et la Commune Urbaine, les projets économiques et sociaux, tout a été validé par la session budgétaire. Et les conventions ont été signées.
Comment ça se passe avec la composition des comités de suivi ?
La mise en place des CSPF a aussi retardé. J’ai demandé aux maires de me remonter les listes des comités de suivi tout en respectant le manuel de procédure de mise en œuvre du FODEL. C’est-à-dire, faire en sorte que toutes les couches notamment les jeunes, les femmes, la société civile ainsi que les élus soient représentées au sein des comités de suivi. Certains ont déjà déposé leurs listes. Je vais vérifier si les listes sont conformes à la loi. Et s’il y a des entités qui estiment être lésées dans la mise en œuvre du comité de suivi, elles peuvent saisir le CAGF à travers un écris. Nous réglons aussi ces choses-là.
Quels sont les principaux défis du CAGF actuellement ?
Le plus grand défi est le respect du manuel de procédure par tous les acteurs impliqués dans le processus de mise en œuvre du FODEL. Je suis sûr que ce n’est pas la volonté de tout le monde. Mais si cela est respecté, tout le monde sera tranquille. Mais si les choses sont faites à notre place et à notre nom, les choses seront très difficiles.
Vous êtes à votre première expérience pour la gestion des fonds FODEL. Quelles leçons tirez-vous ?
Il faut faire en sorte que les lois et règlementations en vigueur, notamment l’arrêté conjoint et le manuel de procédure du FODEL soient respectés. J’ai personnellement apprécié le manuel de procédure qui détaille tout le processus de collecte, de gestion et de contrôle du FODEL. Je pense que si cela est respecté, ça nous permettra de lutter contre la corruption, le détournement et la mauvaise gouvernance au niveau local.
Quelles sont les perspectives dans la mise en œuvre du FODEL à Dinguiraye ?
D’abord, corriger les erreurs de départ. C’est-à-dire les manquements liés aux vices de forme et de procédure dans la gestion du FODEL. Il faudra corriger ces choses conformément aux textes en vigueur.
Quelles sont vos recommandations ?
Aux élus à mieux se former et de s’informer conformément au code des collectivités locales et autres règlementations en vigueur. Aux autorités préfectorales, de respecter le manuel de procédure de mise en œuvre du FODEL pour éviter des problèmes.
Oury Bah et M. Aliou Diallo