Les 246 000 km² du territoire guinéen font aujourd’hui l’objet d’une intense activité d’exploration au rythme de l’entrée en service de nouveaux permis miniers et de l’extension des exploitations historiques. Rappelons qu’en 2016, le gouvernement guinéen avait attribué jusqu’à 144 nouveaux titres pour diverses substances minières. En ce qui concerne la bauxite par exemple, la production qui s’établissait en 2015 à 18,1 Mt lorsque la Guinée était sixième producteur mondial va plus que tripler en cinq ans si le gouvernement atteint l’objectif qu’il vise pour 2020 de 60 Mt. La Guinée ambitionne ainsi de devenir le challenger de la Chine (65 Mt), deuxième producteur derrière l’Australie (82 Mt).
Une telle frénésie minière rencontre de sérieux défis en matière foncière. La problématique foncière, majeure en Afrique, a d’ailleurs fait l’objet d’une journée internationale d’études à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia-Conakry le 4 juin 2018. Organisée par la Chaire Unesco de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, la journée a rassemblé une quarantaine de chercheurs (juristes, sociologues, anthropologues, économistes et géographes) et de praticiens du développement d’une quinzaine de pays, ainsi que plusieurs centaines d’étudiants. Le thème général était « Problématique foncière et perspectives de développement durable, quels défis pour l’Afrique ». Les cas analysés sur une dizaine de pays d’Afrique du centre, du nord et de l’ouest au cours de cette journée ont mis en exergue l’épineuse question de la cohabitation du droit civil et du droit coutumier dans des contextes où les droits coutumiers se fragilisent alors que seulement une minorité de terres sont immatriculées (à peine 5% du territoire au Cameroun). Les accaparements de terres par les élites et les investisseurs étrangers sont observés et, même lorsqu’il y a des compensations, les populations demeurent sujettes à la confiscation de leurs droits, c’est-à-dire à la prédation.
Dans le cas de la Guinée, il apparait que, sur le plan institutionnel, ministères et collectivités décentralisées se disputent les responsabilités dans la gouvernance foncière. Le code foncier et domanial élaboré en 1992 a été complété d’un code de l’urbanisme en 1998 (accompagné de schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme pour plusieurs villes et communes rurales), puis d’un code des collectivités locales en 2006. Plus récemment en 2012, une Politique Nationale de l’Habitat – Vision 2021 a été adoptée. Toutefois, la mise en œuvre de ces textes n’a pas été à la hauteur des enjeux ; nombre d’observateurs évoquent un défaut de vulgarisation des réformes successives et surtout un climat général d’impunité. A noter que l’Etat de droit est justement l’indicateur sur lequel la Guinée enregistre la plus mauvaise performance dans l’indice de gouvernance des ressources, qui révèle pourtant que ce pays est exemplaire en ce qui concerne l’existence de règles de compensation des victimes d’expropriations foncières dans le cadre de projets miniers. Dans les faits en effet, chaque acteur, national ou local, public et même privé, revendique sa légitimité dans la gestion de la ressource foncière, et en conséquence, le territoire guinéen est exposé à des occupations anarchiques, au gaspillage des ressources foncières, à la dégradation de l’environnement, et à des tensions sociales récurrentes.
Depuis 2013, se tiennent des états généraux du foncier, sous la houlette du Ministère de la ville et de l’aménagement du territoire, mais elles ont été profondément perturbées par l’épidémie Ebola. L’Union européenne a soutenu la démarche en finançant jusqu’en 2015 un processus d’évaluation globale de la gouvernance foncière. L’Agence française de développement a, quant à elle, apporté un appui à l’identification des enjeux spécifiques du foncier rural avec le Ministère de l’agriculture. Si la phase de clôture de ces travaux prévue en 2018 prend du temps, officiellement faute de budget, l’ambition du gouvernement guinéen demeure de parvenir d’ici 2019 à une réforme complète de la gouvernance foncière, afin de rassurer les investisseurs, et de désamorcer les tensions sociales, à un an de l’élection présidentielle.
Hervé Lado est responsable pays pour le Natural Resource Governance Institute en Guinée.